FR : Une carrière dans un atelier de Haute Couture
- Mathilde Aubry
- 11 mars
- 4 min de lecture
Depuis 42 ans, notre invitée exerce son savoir-faire dans une prestigieuse maison de haute couture, spécialisée dans le tailleur. Vestes, manteaux, pantalons… chaque pièce qu’elle confectionne allie rigueur, précision et exigence.
À travers cette interview, elle nous dévoile son parcours, les secrets de son métier et son engagement dans la transmission de ce savoir-faire unique. Plongeons ensemble dans l’univers exigeant et passionnant de la haute couture.

Merci beaucoup de nous accorder cette interview, c'est vraiment très gentil de votre part. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter et expliquer votre métier ?
Oui, bien sûr. Cela fait 42 ans que je travaille dans cette maison, spécialisée dans la haute couture. Mon métier est celui de première main hautement qualifiée, un poste clé dans la création de pièces sur-mesure. Je suis spécialisée dans le tailleur, principalement les vestes, manteaux, ainsi que des pantalons et des jupes droites.
Le tailleur, c’est donc un travail sur des pièces structurées, des vestes et des manteaux principalement ?
Exactement. Le tailleur implique des pièces assez complexes, surtout en termes de structure. On travaille souvent avec du lainage et, aujourd’hui, avec des tissus plus souples. Mais l’important, c’est de rester polyvalente, car chaque pièce exige une approche différente.
Cela signifie que le tailleur demande une grande rigueur et des techniques particulières, comme l’entoilage, n’est-ce pas ?
Oui, tout à fait. L’entoilage est une technique qui consiste à renforcer le tissu, mais de manière artisanale. Au lieu d’utiliser du thermocollant, nous posons une toile de laine pour donner de la structure à la pièce. C’est un travail qui demande beaucoup de précision.
Donc, l’entoilage, c’est comme une seconde couche qui rigidifie le vêtement ?
Exactement. Cela permet de donner forme et tenue à la veste. Cette méthode est spécifique à la haute couture, contrairement au prêt-à-porter où le thermocollant est utilisé pour accélérer le processus.
Cela fait 42 ans que vous travaillez dans ce domaine. Avez-vous toujours été dans la même maison ?
Oui, j’ai eu la chance de commencer dans cette maison, et je n'ai jamais travaillé ailleurs. C'est un parcours exceptionnel, et je n'ai jamais eu envie de changer.
Et avez-vous occupé le même poste tout au long de votre carrière ?
Oui, en grande partie. J’ai toujours travaillé dans le même atelier, mais il y a eu beaucoup de variété dans mes tâches. Même si j’ai principalement fabriqué des vestes et des manteaux, chaque projet est unique, car chaque tissu demande une technique d’entoilage spécifique.
Comment s’organise le travail dans votre atelier ?
L'organisation est assez hiérarchisée. Le chef d’atelier est en charge, avec sa seconde qui l’assiste. Ensuite, après validation des croquis par le directeur artistique, le modéliste crée les patrons du vêtement, et nous, les premières mains, réalisons la confection.
Vous êtes donc responsable de la confection et de l’entoilage ?
Exactement. Une fois que le modèle est transmis et l’entoilage déterminé par le chef, c'est à nous de le fabriquer pour obtenir le rendu souhaité.
Comment avez-vous démarré dans la haute couture ? Vous avez suivi une formation spéciale ?
Oui, j'ai fait mes études dans une école de mode en Mesures et Créations. Je n’ai pas fait d’alternance à l’époque. J’ai directement suivi une formation intensive en couture, où j’ai appris les techniques de base : couture, dessin, création de toiles. Ensuite, j’ai fait un stage de trois mois à la Chambre Syndicale, qui m’a permis de trouver mon premier emploi.
Vous avez donc été formée rapidement et avez ensuite intégré directement le monde de la haute couture ?
Oui, exactement. Grâce à l’école et au stage, j’étais déjà prête à travailler dans un atelier dès mon arrivée. C’était une période où les maisons de haute couture recrutaient beaucoup de jeunes talents.
Et comment s’est passée votre intégration dans l’atelier ?
Au début, j’ai fait des tâches simples, comme assembler des pièces basiques. Mais j’ai appris énormément en observant les autres premières mains et en pratiquant. Petit à petit, j’ai pris de plus en plus de responsabilités.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier ?
Ce qui me plaît, c'est la précision, le savoir-faire et l'exigence de ce travail. Chaque pièce est unique et demande une réflexion particulière. C’est un métier qui nécessite beaucoup de patience et de minutie.
Après 42 ans dans le métier, avez-vous constaté des changements dans la haute couture ?
Oui, bien sûr. Les techniques et les tissus ont évolué. Le rythme est devenu plus rapide mais les bases restent les mêmes.
Et le rôle de la première main a-t-il évolué ?
Un peu, mais les fondamentaux sont toujours là. La rigueur et le savoir-faire restent les mêmes, peu importe les évolutions techniques.
Vous mentionniez que vous formez des apprentis. Comment trouvez-vous cette transmission du savoir ?
C’est essentiel. Il est important de transmettre ces techniques pour qu’elles ne se perdent pas. C’est aussi un plaisir de voir des jeunes passionnés et motivés. Parfois, certains jeunes abandonnent, car ce métier demande beaucoup d’investissement personnel, mais d’autres réussissent à s’épanouir.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui souhaite se lancer dans ce métier ?
Mon conseil serait d’être patient, rigoureux, et surtout passionné. Si l’on n’aime pas ce qu’on fait, on ne tiendra pas dans ce métier exigeant.
Vous avez eu l’occasion de travailler sur des pièces marquantes au cours de votre carrière. Pouvez-vous nous en parler ?
L’une des pièces les plus marquantes que j’ai réalisées est une veste iconique que tout le monde reconnaît. C’est un modèle complexe à travailler, surtout en raison du tissu très rigide, la faille de soie. Je suis la dernière à travailler sur ce modèle.
C’est un honneur d’être responsable de ces modèles iconiques, non ?
Oui, c’est un vrai privilège. C’est un peu comme être responsable de l’héritage de la maison. Ce modèle perdure, même après le départ du créateur. Et, bien sûr, je suis aussi chargée de transmettre ce savoir-faire aux jeunes qui arrivent dans l’atelier.
Et vous formez régulièrement de jeunes talents ?
Oui, j'ai eu l’occasion de former plusieurs apprentis, et c’est toujours une grande fierté de les voir progresser et travailler avec passion. Transmettre ce savoir est fondamental pour que le métier perdure. Cela prend du temps, mais c’est ainsi que l’on apprend.
Il y a des nouvelles techniques qui arrivent grâce à la technologie. Comment ça se passe dans l’atelier ?
C’est intéressant. Parfois, des nouvelles recrues viennent avec de nouvelles méthodes, ce qui nous permet d’échanger et d’essayer des choses différentes. Il est important de rester curieux, même après toutes ces années d’expérience.
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